Tous les chemins mènent à ROM

January, 1995
Alvin Jackson
Keyboards Magazine (French)


Après le succès de "Tubular bells Il" en 1992, Mike Oldfield nous gratifie d'un nouveau disque, "The songs of distant Earth", basé sur le roman de science-fiction d'Arthur C. Clarke. Particularité: la première piste de cet album n'est lisible que sur un lecteur de CD-ROM, le reste étant audio. Combinaison intéressante dont nous parle Mike Oldfield à l'occasion de la présentation de cet opus dans le superbe cadre du Planétarium de Londres.

Alvin Jackson

Quel est le format de "The songs of distant Earth" ?

C'est un CD qui comporte dix-sept chansons, mais la toute première piste est en mode CD-ROM. Si l'utilisateur possède un lecteur relié à son Macintosh, il pourra voyager dans une cité construite à l'intérieur d'un gigantesque vaisseau mère, le Magellan, dont la mission est la transmigration inter-spatiale de l'espèce humaine, ce qui constitue le sujet principal du roman d'Arthur C. Clarke. Le but est d'atteindre la tour de contrôle centrale du vaisseau. Lorsque l'utilisateur y est arrivé, il découvre un puzzle qui contient une sélection de clips audiovisuels accessibles par un système de décodage relativement simple, semblable aux mouvements de main des extraterrestres dans "Rencontres du 3e type". Les clips représentent tour à tour une supernova, un centre d'hibernation spatial. et une version filmée d'une chanson de l'album, sur laquelle j'utilise un Stick Chapman, parce que c'est un instrument qui a un look futuriste. J'ai conçu cette piste CD-ROM un peu comme un cadeau pour les auditeurs. Sur un lecteur CD normal, le faisceau laser passe directement à la piste 2 et au contenu audio de l'album.

Pourquoi n'avoir inclus qu'une seule chanson en clip ?

C'est une question de temps. Il m'a fallu cinq mois que pour une chanson. Finalement, je me suis résolu à ce format mixte de CDROM + audio, parce que je pense que pour l'instant. c'est plus réaliste, la grande majorité des auditeurs ne possédant pas encore de lecteur de CD-ROM. Mais je sais que ces choses évoluent vite et mon prochain album sera entièrement en CD-ROM, c'est le format de l'avenir, Eventuellement, les kids voudront faire leurs propres mixes personnels, ils ont grandi devant des écrans d'ordinateurs avec les jeux vidéos et c'est dans cet environnement qu'il faut envisager la musique qui les intéressera dans le futur. J'ai toujours été un grand utilisateur des techniques nouvelles et je suis très inspiré par celle-ci en particulier. L'image fait désormais partie du son, certains kids arrivent même à les lire à l'envers.

En studio, par la même, ta méthode de travail a-t-elle changé ?

Non, car j'étais déjà bien habitué aux ordinateurs "graphiques" en 3-D : j'ai fait un album vidéo en 1986, qui s'intitulait "Wind of change", dans lequel je les utilisais et je me suis familiarisé avec cette technologie et ses applications. Dans mon studio, pendant que je travaillais sur "The songs of distant Earth", j'avais mis côte à côte l'ordinateur "audio" et l'ordinateur "graphique", de façon à ce que les deux facettes du projet puissent se développer en même temps. C'était fantastique de créer quelque chose et de faire danser l'image sous l'effet du morphing, pendant que je travaillais simultanément sur la musique.

Quel est ce système graphique ?

Un programme Aurora, qu'utilise également Steven Spielberg. C'est le plus précis et le plus performant actuellement, avec une définition 3-D exceptionnelle. J'aime la photographie et la peinture. la sculpture aussi, et ce sont les bases esthétiques requises pour travailler sur un outil tel que l'ordinateur "graphique". En 3-D, cela devient un art merveilleux, qui peut fournir n'importe quoi : une sphère, par exemple, et bang, elle est là : en la "morphant" et en l'étirant, j'obtiens la forme que je désire : un dauphin, un vaisseau de l'espace, ou une fleur. Ensuite, je peux faire chanter la fleur ! C'est un mélange de deux disciplines artistiques...

Musicalement, comment as-tu travaillé ?

J'ai eu des problèmes vers le milieu de l'album, quand je me suis rendu compte que je ne pouvais pas me contenter d'écrire la musique. Il fallait que je puisse visualiser à quoi elle correspondrait, c'est là que j'ai décidé d'accoler les deux ordinateurs. Il m'a fallu beaucoup plus longtemps que je ne le pensais, parce que c'était tellement nouveau que je ne pouvais pas gâcher ce travail en recourant aux techniques et aux trucs du métier, que je connaissais et qui constituent mon sac à malices habituel. Par exemple, je ne pouvais pas utiliser la 12 cordes ou la guitare acoustique dans ce contexte SF, pas même le piano, parce que le son est trop terrien. Même le Stick Chapman n'avait pas le son que je voulais et je ne l'ai utilisé que pour le clip. Il a fallu que je laisse derrière moi mes habituelles ficelles pour faire de la musique. Toutes mes influences folk et celtiques, pour lesquelles je suis connu, ne me servaient plus à rien. Lorsque j'ai écrit la musique de "The songs of distant Earth", il a fallu que je me "rappelle" le futur ! Je voulais créer quelque chose qui transcende les générations, et qui intéresse tout autant les quinquagénaires amateurs, de science-fiction que les kids qui dansent dans les clubs.

Côté instruments ?

Le Synclavier et le Fairlight, parce qu'il me fallait des sonorités très différentiables. Le processus de sélection des sons et samples a été long et douloureux et représente en fait la majorité du travail de pré-production. Il a fallu que je teste des milliers de sons différents, des boucles musicales, des samples sur DAT pour réunir tous les éléments dont j'avais besoin.

Tu sembles têtre beaucoup raccroché à des éléments de musique classique...

Il y a des extraits des "Bateliers de la Volga" et de "Casse-noisette", dans des morceaux comme "Lament for Atlantis" et "Oceania . Mais également des tablas, des percussions indiennes et un retour à "Tubular bells" dans "Tubular World". Dans le dernier morceau, "A new beginning", j'ai même utilisé un choeur de vocalistes polynésiens, une chorale de Tahiti.

Tu as trouvé l'inspiration dans un livre dArthur C. Clarke. Comment est-ce arrivé ?

Quand je n'étais encore qu'un morne, j'aimais déjà la SF, et bien qu'il y ait beaucoup de grands auteurs dans le genre, tout le monde s'accorde à penser que Clarke est le meilleur. Il n'est pas seulement écrivain, il est aussi prophète et visionnaire. Beaucoup des évènements décrits dans ses livres se sont réalisés, j'ai donc décidé d'utiliser son œuvre comme rampe de lancement et j'ai relu tous ses livres. C'est le titre de "The songs of distant Earth" qui m'a attiré. C'est un livre intrinsèquement musical, un point de départ naturel pour moi.

Quel en est le thème ?

Les humains du futur découvrent que notre soleil doit s'éteindre aux environs de l'an 3500. La migration spatiale devient donc nécessaire et se fait en deux temps, sur un millier d'années, Des pionniers s'établissent d'abord sur une planète nommée "Thalassa", puis le vaisseau géant Magellan les rejoint mille ans plus tard. Entre temps une autre planète, Sagan 2, a été découverte et c'est là que vont s'établir les humains, J'ai évité de suivre le scénario de trop près, je me suis plutôt inspiré de l'ensemble de l'oeuvre d'Arthur C. Clarke, que j'ai rencontré chez lui, à Ceylan.

En quoi t'a-t-il aidé ?

Arthur m'a totalement fait confiance et ne m'a posé aucune condition : j'avais carte blanche. Il m'a quand même aidé en me disant de lire tel livre, de voir tel film. Bien qu'il ait 80 ans, son esprit est très pointu et bien au-delà du commun des mortels.

Que représente pour toi cette nouvelle étape ?

C'est une direction totalement novatrice, mais je suis sûr que ce n'est que le début. Les gens viennent souvent me voir en mentionnant le revival celtique. l'ambient house ou la world music et ils me disent que je faisais cela avec quinze ans d'avance. Et je suis obligé de leur répondre : "Non, vous vous trompez, en fait, c'était il y a vingt ans !"


Mike Oldfield Tubular.net
Mike Oldfield Tubular.net